Alain. Mon vieil ami nous a subitement quitté cet été. A 60 ans passés, la vie et la maladie l'avaient soumis de force au rythme pépère des grands blessés de guerre. Il avait mené sa guerre dans les arrières cuisines des saisons de Megève à Saint Trop', dans les brigades du Georges V à Paris, en passant par les douces volutes artificielles des spots de beatniks des années 70, Goa en Inde, Essaouira, au temps où il avait encore des cheveux. Le jour où j'ai appris qu'il était resté sur le billard lors d'une N-ième opération, je suis allé revoir son petit appartement, comme aimanté. On y rentrait par le jardin, quelques mètres carrés de verdure épaisse en forme de petit patio marocain tranquille et frais, qui sentait bon le jasmin, et dans lequel il aimait se prélasser à peindre de grandes toiles pleines de couleurs. Il disait que tout revenait dans ses peintures, le passé, les passions, les voyages. 3 jours à peine après sa mort, le lierre avait été arraché, le plafond de jasmin coupé et les banquettes en palettes peintes entassées en vrac sur le trottoir. Le petit jardin n'était plus. N'y tenant plus je me suis affaissé sur moi-même en sanglots, le cœur accroché aux volets fermés. Alain m'appelait " mon petit Bruno ", " Haa voilà le plus beau ! " en riant de toutes ses dents. Nous nous retrouvions entre autre lors des apéro-concerts du kiosque à musique, il était voisin du parc. Alain était vite fatigué, Alain râlait, Alain subissait, mais Alain rigolait, il n'en finissait jamais. Ho certes Alain était un peu "mytho", il en rajoutait, s'inventait des vies, nous faisait marcher, mais nous aimions nous prendre au jeu, parce qu'avec lui nous savions que rien n'était jamais très sérieux ! Bizarrement, Alain n'en restait pas moins vrai à mes yeux. Je pouvais tout partager avec Alain, pas besoin d'en rajouter beaucoup pour savoir que quoiqu'il m'arrive il serait là. Et puis Alain savait que j’adorais ses bugnes (lui même n'aurait pas manqué ici un jeu de mot bien graveleux !) et comme tout ces vieux qui vous aiment, il nous gâtait de ses qualités d'ancien pâtissier de haut vol, sans jamais oublier les bonbons pour les enfants, évidemment ! Il me reste tout ça. Quelques tableaux troqués, des souvenirs encore trop frais, un dernier texto qui restera sans réponse parce qu'envoyé 10 min trop tard, un contact à supprimer dans mon répertoire. Et cette sensation d'étouffer quand je pense à lui, comme si je réalisais à nouveau et dans une intensité qui ne décroit pas que, non, nous ne croiserons plus Alain ailleurs qu'au cimetière. Je ne verrai plus la silhouette de mon vieil ami qui marchait en canard au cœur de la ville, promenant son petit chien. Je me rends compte aujourd'hui à quel point il est précieux dans l'anonymat et la solitude de nos grandes cités dortoirs merdiques de reconnaitre une silhouette familière au loin, de simplement se reconnaitre, puis klaxonner en se faisant des gestes ! Parce que c'est dur de voir un pote qui part en premier. Et parce que comme dit Le Forestier, quand tout vous abandonne, ...on se fabrique une famille...
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